Urbanisme en panne ? Le paysage, outil d’action ! Retour sur la Conférence-débat
Les équipes du SCoTAM et de l’AGURAM ont donné rendez-vous aux élus, techniciens et acteurs de l’aménagement le 7 octobre dernier à Saint-Privat-la-Montagne, pour la 3e rencontre de leur cycle dédié à la sobriété foncière.
Comment la démarche paysagère se met au service des documents d’urbanisme et de la sobriété foncière ? Comment devient-elle également un levier d’acceptabilité, d’adhésion et de créativité pour les élus ? Ces 2 questions étaient au centre des échanges tout au long de la matinée.
Parmi les intervenants, François Roumet, urbaniste, paysagiste, responsable du département Écologie à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles ; Anne-Cécile Jacquot, paysagiste chez Omnibus ; Dany Bertheau, maire de Poupry, en Eure-et-Loire et Nathalie Tappia, architecte urbaniste à l’agence nancéienne Intensités.
Un coup de projecteur a été mis sur le Plan de Paysage du SCoTAM qui a amené les élus à s’emparer de la démarche paysagère comme d’un véritable outil au service de l’aménagement durable de leur territoire. Une démarche qui a permis au Syndicat mixte et à la conceptrice (Anne-Cécile Jacquot) de décrocher le prestigieux Grand Prix National du Paysage 2024 après 10 années de travaux et de mise en œuvre.
Parce que le paysage n’est pas (qu’)une jolie carte postale…
C’est la ville, le village, la rue, l’immeuble, la rivière, le champ, la noue, l’arbre. C’est ce que l’on voit quand on sort de chez soi, par sa fenêtre au travail, à la sortie de l’école, lors d’une balade saisonnière, quand on va d’une commune à l’autre pour faire du sport. Le paysage peut relever du remarquable, mais aussi du quotidien et même du dégradé. C’est donc un bien commun, un potentiel.
… nous vous invitons à replonger au cœur de la conférence :
-> Retrouvez le programme.
/ Éléments de contexte / Réduire la consommation foncière grâce à une trajectoire de sobriété foncière
- Chaque seconde, 48 m² de nature sont artificialisés en Europe (source : Le Monde)
- 63 % de la consommation foncière en France est destinée à l’habitat (source : Cerema). Les activités économiques sont le 2ndgrand consommateur de foncier.
- Cette artificialisation impacte grandement les paysages (imperméabilisation, place de la voiture, etc.), porte atteinte à la biodiversité et à la ressource en eau, augmente nos besoins de déplacements, accentue notre vulnérabilité face aux risques naturels et contribue à l’accentuation du changement climatique.
VERBATIMS Amaury Krid, responsable pôle observation foncière & planification, AGURAM :
« L’enjeu de demain, porté par la loi Climat et la trajectoire de sobriété foncière, c’est de faire projet à l’intérieur, de ce que l’on appelle nous urbaniste « l’enveloppe urbaine » existante, à l’intérieur des tissus urbains existants : du bâtiment qui pourrait changer d’usage, des terrains qui pourraient être densifiés, ou sur des constructions qui pourraient se transformer… l’évolution historique des tissus urbains est de répondre aux besoins des habitants en s’adaptant. »
L’une des clés pour faire accepter des projets de densification est la création d’espace ou d’équipements publics de qualité. Des lieux où l’on peut se rencontrer et pratiquer des activités ensemble. Et, comme dans tous projets, une contrainte qu’elle soit foncière, architecturale, paysagère va engendrer la créativité auprès des professionnels et des élus… et revoir le modèle d’aménagement du territoire avec de nouveaux leviers, de nouvelles approches basées sur le paysage »
Transformer le potentiel en atout
I Mais pourquoi parler de paysage ?
On réduit trop souvent le paysage à une esthétique : les vacances, les beaux paysages, la carte postale. Or le paysage fait appel aux sens, aux souvenirs, à ce qu’on comprend.
/ Echanges avec le public / Lors de la conférence, des photos d’ici et d’ailleurs ont été projetées, invitant le public à exprimer leur ressenti positif ou négatif face à des contextes très variés.



« Chez les bergers, on dit : « la 1ère année je cours, la 2ème je garde, la 3ème je regarde » Extrait du journal France Inter, 3 juillet 2025. Le rôle des paysagistes est similaire : regarder, analyser, nommer les espaces, décrypter ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, partager les points de vue, prendre soin, pour respecter l’attachement au lieu.
I Quel sont les outils à disposition ?
>> Les documents d’urbanisme permettent d’aborder le paysage de manière transversale et de faire du sur-mesure. Le paysage n’est pas un volet à part dans les documents d’urbanisme mais une démarche. La démarche paysagère implique de penser toutes les phases d’un PLU en même temps :
- Le diagnostic paysager (lors du diagnostic du territoire) : faire un état des lieux, regarder, discuter
- Le PADD : le construire en faisant un pont permanent avec sa traduction règlementaire pour ne pas perdre les intentions liées au paysage dans l’écriture des règles
- Les OAP : localiser ce qui fait sens (les accès, les points de vue, la végétation, les usages en place, le chemin de l’eau, etc.)
VERBATIMS / François Roumet
« Aborder le paysage de manière transversale, regarder la géographie, l’hydrographie, faire un état des lieux, parler aux gens, échanger avec les élus et mettre en musique ce que l’on voit, retrouver l’échelle de proximité de voisinage. »
« Quand on commence un document d’urbanisme il ne faut pas forcément commencer par le diagnostic, il peut y avoir des aversions de procédure qui seront mises plus tard dans l’ordre, parce qu’il y a des choses qui nous surprennent, des attentions qui sont très vites exprimées avant même les constats du diagnostic qui viendrait alors amoindrir ses sensations et endormir tout le monde »
« Dans le diagnostic paysager, il y a des titres qui peuvent mettre la puce à l’oreille, comme « les balcons agricoles » par exemple, cela paraît bizarre, qu’est-ce que cela veut dire ? Tout ça, c’est fait pour donner envie, l’évocation donnée par les mots, parfois à travers une certaine poésie, doit donner envie d’aller découvrir ce qui s’y passe et quelles sont les réflexions intrinsèques à ce fameux lieu »
VERBATIMS / Anne-Cécile Jacquot
« Identifier les points de vue dans les documents d’urbanisme, en repérant ce qui fait sens, les choses pour lesquelles les habitants sont attachés, et ces points de vue sont des points de repères. Ainsi, il en va de demander à un porteur de projet de représenter comment le paysage va être transformé par ce projet. Les points de vue, définies comme des biens-communs partagés dans les documents d’urbanisme, sont des éléments incontournables pour évaluer l’impact des projets dans les paysages. »
>> Le Plan Paysages du SCoTAM : « Pensons et dessinons les paysages du SCoTAM »,
- Une méthode expérimentale et innovante pour une élaboration à cette échelle : accumuler des données, écouter les élus, visiter les lieux, etc.
- Une attention portée sur les paysages ordinaires, « modestes », pour révéler leur valeur
- Trois enjeux : lisibilité du territoire, adaptation au changement climatique, redynamisation des friches
- De nombreuses actions pour sensibiliser et diffuser une culture du paysage
Lien vers le Plan Paysages : https://www.scotam.fr/thematiques/paysage/demarche-plan-paysages/
Ce que le paysage propose
2 intervenantes, Dany Bertheau (maire de la commune de Poupry) et Nathalie Tappia (architecte-urbaniste) sont venues témoigner pour partager leur retour d’expérience, plaçant le paysage au cœur de projets d’aménagement
I Zoom sur la ZAE de la commune de Poupry, co-réalisée avec François Roumet
Poupry est une des plus petites communes d’Eure-et-Loir, accueillant une Zone d’activités économique (ZAE) de 120 ha au sud-est de son territoire. Dans son document d’urbanisme, des OAP spécifiques à cette ZAE ont été créées, afin de garantir : la végétalisation de la zone rappelant les ouches[1] du village, un espace collectif, une traversée piétonne continue et une disposition ordonnée des bâtiments. Les OAP obligent également l’aménageur ou le pétitionnaire à représenter son projet à partir de 3 points de vue différents, définis par la commune, et qui soient réalistes (avec ses impératifs techniques).
VERBATIMS / Dany Bertheau, maire de Poupry (Eure-et-Loir) :
« Nous avons réussi à faire respecter un ordonnancement des bâtiments logistiques qui soient perpendiculaire aux axes routiers. Et nous avons souhaité qu’au niveau du paysage, il n’y ai pas de merlon, ce qui a bien été écrit dans notre PLUi, afin de garder un paysage avec des point de vue sur les espaces boisés. (…) Nous voulions de la cohérence avec ce que l’on voit dans le village : créer une ceinture végétale autour de la ZAE et un espace public, un lieu de rencontre, en y aménageant une mare et un ponton, pour le pique-nique ou la promenade. Puis, il était important d’ajouter une liaison douce sur toute la zone d’activité »


[1] Les ouches sont les ceintures vertes (potager, verger, jardins privés, etc.) des villages de la Beauce.
Les difficultés rencontrées :
- Le rôle de l’État entre la promotion de cette zone d’activités pour l’attrait du bassin d’emploi et ensuite la demande de modération dans la consommation de l’espace, des mouvements d’aller-retours à gérer
- Une gestion insuffisante de la propreté urbaine dans les espaces publics
- Une absence de stationnement poids-lourds dédié et de services pour les chauffeurs routiers
- Il n’y a pas de desserte en transport en commun. Pourtant, nous avons essayé de batailler pour que les entreprises puissent réfléchir ensemble sur des horaires en commun mais nous n’avons pas réussi
I Zoom sur l’écoquartier Biancamaria à Vandœuvre-lès-Nancy, co-construit avec l’agence INTENSITÉS
Le projet propose un parc traversant sous forme de balade, qui fait dialoguer les différents espaces s’opposant actuellement : le cimetière du Sud, une ancienne caserne, une entrée d’agglomération, une zone commerciale et une zone d’habitation. Ce continuum paysager est parfois large, parfois très fin, pensé à l’échelle de chaque parcelle.

La conférence débat Urbanisme en panne ? Le paysage, outil d’action ! a réuni une centaine d’élus et techniciens pour redonner du souffle à leurs idées, visualiser comment transformer les espaces en lieux de vie ; en adoptant l’outil paysage, facilitateur de l’élaboration et de l’acceptation des documents d’urbanisme ; et repartir avec des clés pour dialoguer avec leurs concitoyens. Notre partenaire, le SCoTAM est pionnier en la matière, mais aussi un exemple à suivre. Il s’est vu décerner le Grand Prix national du paysage par le ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, pour son Plan Paysage « Pensons et dessinons les paysages du SCoTAM ». L’enjeu est de continuer de le mettre en pratique avec l’ensemble des acteurs locaux.
VERBATIMS / Nathalie Tappia, architecte-urbaniste :
« Le parc s’infiltre dans tout le quartier, c’est un espace ouvert, il est le support des espaces publics, des espaces partagés, des modes actifs, et des vergers. »
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🎀 En ce mois d’octobre, la couleur rose s’impose dans nos villes et nos villages comme symbole de solidarité et de prévention. Ce rose nous rappelle que certaines réalités invisibles doivent être rendues visibles pour susciter la conscience et l’action. Le PAYSAGE, lui aussi, joue ce rôle dans nos territoires : il rend perceptibles des enjeux qui pourraient rester abstraits dans nos documents d’urbanisme. Comme le rose, le PAYSAGE attire l’attention, fédère et ouvre la voie à des actions concrètes.
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Mots clés : COnférence-débat, démarche paysagère, paysage, SCoTAM
